Ecotopia
La mer à l’œuvre, 2020 prise de vue Aimée Fleury
Photographies de l’exposition Nouvelle Vagues – En savoir plus sur l’exposition
Un jeté d’encre d’une falaise sur une toile en contrebas.
La chute de l’encre et l’aspect du sol forment l’empreinte de cette terre verticale qui capte de la montagne son vertige et sa chute, son temps géologique et son espace sans limite.
La réalisation de la toile est aussi prompte que la chute d’une dizaine de mètres que mettent quelques gouttes de charbon mélangées à de l’eau.
Avant d’être une œuvre, Ecotopia ce sont de nombreuses marches, en solitaire ou avec des amis à travers la montagne. Des nuits passées à habiter la nature, sous les étoiles, réchauffés par un feu de camp.
Des falaises escaladées des heures durant, pour qu’une fois au sommet, en seulement quelques secondes, un jeté d’encre vienne recouvrir une toile en contrebas.
Excepté la toile de lin elle-même, les matériaux qui la composent proviennent de la marche, l’encre est créée au lendemain des nuits passées dehors, avec les cendres concassées du feu de bois, auxquelles s’ajoute une sève servant de liant.
La montagne fertile donne naissance au substrat qui se dépose sur la toile, le bois qui grandit sur celle-ci devient charbon, puis encre.
English vocal introduction:
Vue d’atelier.
« Vue d’atelier » est une vidéo réalisée en 2019 qui montre des séquences filmées durant la création des œuvres d’Ecotopia. Fondée sur le concept que la nature est un atelier en elle-même, un espace d’immersion où l’on peut collaborer avec l’environnement, la vidéo est accompagnée d’une bande sonore spécialement composée pour elle. Elle présente des expériences, à la fois collectives et individuelles, incluant des marches et des treks dans divers milieux naturels tels que la montagne, la mer et la forêt. Cette vidéo est un élément clé pour comprendre l’essence d’Ecotopia et pour s’immerger dans l’œuvre.
Vidéo Vue d’atelier, 2020
Nouvelle Vague
En 2022, au Palazzo Saluzzo Paesana, sous la direction curatoriale d’Enrico Bandini de Turin, une exposition monographique a été consacrée à Ecotopia, sous le nom de « Nouvelle Vague ».
Photographies de l’exposition Nouvelle Vagues – En savoir plus sur l’exposition
Photographies du Thorong pass
La première marche d’Ecotopia, et non des moindres, a eu lieu en 2016 au Népal, lors d’une marche solitaire autour de la chaîne d’Annapurna, le second massif de l’Himalaya.
Après plusieurs jours de préparation dans la ville de Phokara, je finis par trouver les éléments nécessaires à la création de la toile en haut du Thorong Pass : la toile de lin elle-même, un mortier, un tamis et bien sûr, l’équipement nécessaire à un trek en haute montagne.
Quinze jours de marche au cœur des montagnes, les toiles dans le sac. Au lendemain d’une soirée autour d’un feu de bois, je concassais le charbon pour en faire de l’encre.
Mille falaises, cascades, rencontres eurent lieu durant cette marche.
Au dixième jour, j’arrivais au camp de base du Thorong Pass, à 4500 m. Mille mètres me séparaient encore du pass à 5500 m, la journée devait être de 8 heures de marche, avec environ 50 % d’oxygène, chaque pas était une épreuve et une jouissance à la fois.
Pour rajouter de la difficulté à cette marche éprouvante, j’eus cette drôle d’idée d’escalader le point le plus haut que je trouvais pour y jeter ce charbon mélangé à un peu d’eau.
Le groupe d’amis que j’avais rejoint deux trois jours auparavant ne pouvait m’attendre, par peur d’arriver pendant la nuit, ou d’être bloqué au sommet.
Je portais avec moi depuis déjà dix jours cette toile et les bocaux de charbon en poudre. Je ne pouvais abandonner maintenant.
Légèrement au-dessus du High camp aux alentours de 5000 m, après déjà deux longues heures de marche, je vis une falaise qui surplombait l’ensemble de la vallée.
La toile déposée sous la falaise, j’escalade comme je peux ce grand rocher. Quelques flocons de neige commencent à tomber, les premiers depuis le début du trek. J’ai la sensation que la montagne tente de parler.
Annapurna est pour les Népalais la demeure de Shiva. Il m’a souvent plu de penser que ces toiles capturaient quelques fragments de Shiva elle-même.
En équilibre dans le vide, seul à des kilomètres à la ronde, non sans difficulté, je réussis à jeter cette encre.
Il y a souvent dans mon ressenti un « tout ça pour ça ? ». Voici une tache d’encre que j’aurais pu faire dans mon salon à dix mille kilomètres d’ici.
Mais il s’agit d’autre chose que de simples taches assemblées dans un certain ordre que contient cette toile. C’est même davantage que mon voyage, ma marche, mon escalade, ma performance, c’est autre chose que mes singularités propres, ma sensibilité et mon style. Il s’agit d’autre chose que de moi.
Je suis un simple prétexte, un sherpa de la montagne, qui lui a apporté son encre et sa toile pour qu’elle puisse se peindre toute seule, nous raconter tout cela au travers de ses formes.
Je replie délicatement les toiles, et continue le voyage sous la neige.
Ecotopia a continué en France avec l’escalade de montagnes du massif du Mercantour et dans les pré-Alpes du sud, non moins périlleuses.
Vision du sublime chez Kant, la montagne excède la capacité de l’esprit humain à la penser, à la représenter. C’est ainsi que le geste de l’artiste disparaît pour laisser les singularités formelles de celle-ci s’exprimer.
Dans un élan zen méditatif, elle rappelle la démarche des calligraphes cherchant dans leur geste le sentiment de vacuité.
Conquête performative d’un sommet, les toiles d’Ecotopia deviennent une synthèse forte entre la marche en nature, l’escalade des falaises et la montagne elle-même.
Il y a beaucoup de lieux parmi ces montagnes que je nomme Ateliers, non pour les considérer comme des lieux où l’artiste maîtrise le processus de production de ses œuvres, mais bien davantage comme lieux où la montagne travaille, fait œuvre jour après jour. Moi-même je ne fais que passer, revenir, y vivre quelques jours.
À nouveau « je » suis un prétexte, un outil que la nature utilise comme bon lui semble pour produire ses œuvres.
Si la technique peut justement faire penser au dripping, jeté d’encre sur une toile, elle se différencie, voire s’oppose quant à ce que l’œuvre capte.
Alors que le dripping capte l’énergie de l’auteur, son dynamisme, sa présence, Ecotopia est davantage un retrait, pour laisser place à l’environnement. Si des traces de geste apparaissent, elles ne sont que résiduelles.
Au bout des montagnes, la mer. En 2019 Ecotopia écoute toujours la nature parler en explorant les rives rocheuses, lisières entre terre et mer. D’un geste similaire à celui de la montagne, un jeté d’encre d’un point en aplomb sur une toile déposée sur la rive, s’écoule et prend l’empreinte de celle-ci.
La mer à son tour vient au rythme des vagues participer au dessin de la rive, elle le recouvre, le dilue, le violente parfois. La toile devient cette collaboration entre la terre et la mer.
Dans chaque toile, il ne reste de l’artiste que son corps marchant, pénétré par la nature qui l’environne. La toile est en quelque sorte son retrait, sa disparition. Ces choix semblent importants, telle ou telle montagne, telle ou telle rive, mais il n’en est rien. C’est la montagne, le rivage et la mer qui dessinent, l’ artiste se retire de l’avant-poste de l’œuvre, participant, tout comme le regardeur, qu’en ce qu’il se reconnaît en la nature.
Paréidolie, coïncidence, les premières de ces toiles laissent inexorablement apparaître le dessin d’une vague.
Livres et éditions à propos d’Ecotopia
L’édition Ecotopia contient d’autres toiles et textes, notamment l’Acte 3, des toiles créées autour d’un feu de camp en pleine nature. Vous pouvez également demander un catalogue via un formulaire sur la boutique en ligne.