Texte pour l’exposition du Collectif Palam à la Caisse d’Epargne de Nice Massena
Prélude
Le jour où l’argent disparaîtra, cette phrase a émergé lors d’une discussion collective, près d’un refuge, au centre de la nature recouverte de neige, la nuit tombant, emmitouflés dans des couvertures, se réchauffant autour d’un feu,
Le lendemain, nous allions faire disparaitre l’argent.
Le lendemain, en nous enfonçant plus encore dans les hautes montagnes, nos pas atteignirent un lac gelé : sous la neige, la glace, sous la glace, l’eau.
Se positionnant à l’avant-garde, explorant, assurant le terrain, nous interrogeant aussi bien métaphoriquement que littéralement, sur la question de la suppression du capital qui structure nos sociétés et nos rapports humains.
Comme un acte rituel, une expiation symbolique qui s’incarne dans un système en bout de course, au fin fond de la nature, nous nous préparons dans la joie au jour où l’argent disparaîtra.
Cette marche en nature ne fut pas la première, l’exposition Azimuth de l’année dernière nous avait déjà mis en route pour une autre vallée de la montagne.
Une nouvelle fois les raquettes aux pieds, 15 kg d’or nordique sur le dos, nous repartions. Cette fois-ci, l’expédition est motivée par: Sous la glace, l’eau, une exposition en cours de production à la Caisse d’Épargne de Nice Masséna. Une exposition dans une banque? Etrange me direz-vous…
Certainement, et c’est pourquoi Palam c’est trouvé face à un choix difficile lorsqu’on lui a proposé ce lieu. Il y a, d’une part la reconnaissance en tant que groupe d’une partie de l’institution culturelle locale, l’accès à un budget de production, une visibilité centrale dans la vie aux alentours, et un moyen de toucher un public différent que celui que l’on côtoie la plupart du temps dans les milieux courants de l’art contemporain. Et d’autre part, un lieu difficile, non-adapté à l’exposition, marqué par la charge symbolique d’une banque et des valeurs qu’exposer à l’intérieur comporte.
Mais, nous a-t-on dit, il n’y a pas d’espace neutre. Une institution, un musée, une galerie : même combat ?
L’art doit-il faire fi des conditions de monstration ou, au contraire, attacher de l’importance au fait de les questionner ?
Nous avons donc choisi d’accepter, avec le souci d’interroger profondément ce cadre dans lequel prend naissance l’exposition.
Palam a montré plusieurs fois par le passé sa sensibilité à la cause écologique, loin d’être un apparat, elle est liée à l’ADN du collectif. Et pour éviter justement qu’elle ne soit reléguée à un rôle accessoire, il nous fallait interroger dans son fonctionnement ordinaire, ce qu’une banque entretient réellement avec l’écologie.
Subventionner des artistes qui parlent d’écologie suffit-il à faire de soi-même une institution écologique ? Surtout quand, par ailleurs, elle subventionne bien davantage les énergies fossiles ?
Nous avons eu carte blanche sur cette exposition. Et nous ne pouvons que remercier la banque de cette liberté permise. Sans elle, la contestation n’aurait pas pu avoir lieu.
Nous avons, dans ce contexte, l’idée saugrenue qu’il existe un lien entre les banques et le capitalisme, une relation de cause à effet entre le capitalisme et l’urgence écologico-sociale. Nous prenons le parti d’utiliser le capital de la banque comme matière plastique et sa destruction aussi littérale que symbolique comme moyen d’expression artistique.
À la première réunion Palam de l’expo, deux questions ont rapidement émergé :
Nous ne voulions pas faire la « déco d’une salle d’attente » et interroger l’écologie à même ces murs nous paraissait impossible. De ce fait, une question simple se pose : « comment s’enfuir du lieu ? ».
Par nos précédents projets, nous nous sommes illustrés par des ballades montagneuses. Cette fois-ci s’impose l’idée de faire sortir le visiteur lui-même de la banque et même de la ville.
Notre seconde réflexion : Qu’elle serait la manière la plus écologique d’utiliser le budget ?
La « décroissance » en tête… des allusions à « l’empreinte carbone »… « la circulation de l’argent, tout ça…». Nous en avons conclu que la destruction de l’argent était peut-être l’acte le plus puissant écologiquement parlant. Avons-nous finalement plus abouti le débat ?
Il semblait que nous nous engagions dans une voie critique. L’autocensure nous fait mâcher nos mots.
La décroissance, l’anticapitalisme au sein d’une banque: Attendu ? Facile ? Nécessaire ? Nous nous efforcerons d’être pertinents.
L’un dans l’autre, le brainstorm était lancé, tout ne peut pas être dévoilé ici. Ce que vous pouvez en retenir, c’est que début janvier nous avons fait une balade au cœur du Mercantour pour y cacher un secret. L’exposition Sous la glace, l’eau retransmet des indices, comme une chasse au trésor. Amenant le visiteur hors de l’espace cloisonnant de la banque, et de la saturation urbaine.
Loin de chercher, un simple objet, la quête est d’en comprendre la nature, de comprendre le sens de cet acte, les questions induites tout aussi poétiques que politiques.
Dans le refuge il faisait froid, le dortoir n’était pas chauffé, 2 mètres de neige sur le toit nous protégeait quelque peu de la nuit glaciale, 6 couvertures pour les uns, un duvet Northface résistant à -40 pour les autres, la nuit fut difficile, vous vous en doutez.
L’art est comme une expérience sociétale, visant à déblayer, ouvrir les chemins que l’humanité va pouvoir emprunter. À l’avant-garde, notre groupe tâtonne, assure, explore le terrain d’une rencontre entre nature, collectif, et société post-capitaliste.